Parce que mes pieds sont têtus.

lundi 27 mars 2017

Phocéenne

Le David me nargue. De toute sa splendide nudité. Je reste de marbre. Fada, descends donc de ton piédestal et viens t'en donc suer sous ce premier soleil. Et que la trace tourne autour, vue de face, agréable relief, de côté, joli profil, de derrière, augustes courbes, je pense à cette photo, vue un jour sur les réseaux, de ce ridicule cache sexe à bandoulière à la Sacha Baron Cohen dont on l'avait affublé, géniaux dissidents, et je me poile in petto en pensant à Borat. J'avais tourné dans Borély en me remontant les bretelles, pensant que décidément, sur ce semi, je me foulais la moitié du temps, alternativement combative ou carrément complaisante, ne sachant pas décider si je devais mordre ou buller.
J'avais choisi en amont il est vrai. Il y a de ces vies dans la vie. Tu dévies. M'enfin. Tant que tu ne dévisses pas.
J'ai tourné la montre. J'ai regardé les arcs en ciel dans le port, dans la traînée des promènes couillons. Je me suis rentrée le tintinnabule des mâts dans le crâne et les jolis noms des barcasses. J'ai soupiré devant la roue qui tourne et tourne encore et souri clic-clac sous le miroir. Et puis je suis montée à la bonne mère pour respirer et dire chut à l'angelot. J'ai photographié les ex-voto qui étalent mon patronyme de jeune-fille. C'est drôle les clins Dieu tout de même. Les guirlandes de petits bateaux colorés cascadent des coupoles dorées. Le monoplan s'en balance, il plane sous un vol de colombes muettes, de goélands ou de sternes rieuses, et la voûte éclatant d'or éclabousse les semis corail et bleuet.
La mer s'étale ponctuée de roches et d'îles minérales. Il fait bleu à perte d'horizon et ça moutonne à peine à l'ourlet des voiles blanches.
J'ai du mal à me détacher pleinement du chrono. Une habitude vieille de 4 ans. Ce n'est pas le moment. Combien de fois l'ai-je entendu ! Ce-n-est-pas-le-moment ! Intolérable quand on te l'impose. Salvateur quand on se repose.
Aujourd'hui sous le rouge le jaune, le bleu le franc le blanc l'éclat l'heureux le beau, lumineux, sous la sérénité palpable de Marseille, je prends le temps. Une bribe. Un éclat juste, une illusion de paix et d'insouciance que je noue à mes lacets, de peur de me lasser bientôt.
Je m'entraîne bien peu ces derniers temps. Le miracle c'est d'avancer et j'ai besoin de giclées de lumières pour me révéler parfois, comme un rappel, le prodige de l'ordinaire à la manière des Holi, festivals de chromes sublimes qui couvrent ponctuellement les heures grises des pauvres gens.
Sous les coups du premier soleil je peine un peu. Je m'accroche à la mer et au ruban ondulant de la route sinueuse. Les mouettes se moquent un peu. Insidieuses rieuses. Corniche puis ville, corniche et puis au crochet au bout, déboulant du Faro, les mâts, enrubannés de bleu et de tous les vivats du port.
L'arrivée est sublime, ébouillantée de lumière. Il aurait fallu que je m'arrête avant la ligne, pour capturer l'instant, et puis me glisser dans la foule, ou m'asseoir sur la pierre, pour laisser le temps en suspend. Ne pas voir l'horloge du chronomètre. Faire comme s'il n'était pas. Dire à ces gens sur l'estrade, tournez moi ça, là bas, vers le Mucem, laissez-moi des trous dans ma course, je veux une dentelle, de béton et d'outremer, un entrelacs de réel sur fond de grandes envolées de ciel. Arrêtez-moi ce temps qui galope, ou plutôt, si, faites-moi bondir de l'autre côté. Mordre ou buller. Mordre ou buller ?
J'enfouis la médaille dans mon sac. Je n'ai pas couru, j'ai tergiversé.
Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer.
En clignant des yeux vers la lumière, non ce n'est pas une larme, c'est le soleil qui m'éclabousse, je me rends à mon évidence. Ce n'est pas le moment. D'accord. Oui mais aujourd'hui, c'est moi qui le décide.

Semi de Marseille. 1h39'13

mercredi 7 décembre 2016

Comment je me suis refaite une Sainté

J'ai 60 kilomètres dans les jambes. Je pense à des pâtes.
Un gros plat de pâtes. Des Linguine. Avec des morceaux de courgette, des aubergines, de la tomate aussi, fraiche et puis du basilic. Plein.
Il fait froid. Et nuit. Je pense à un plat gorgé de soleil. J'ai une faim de loup dans cette entre deux heures qui annonce le petit matin de fin de course.
Je n'ai pas mal. Rien. Je n'ai jamais eu mal. Les doigts, si, le bout des doigts. Dans les montées, quand ça pinçait bien fort. Celle du Rampeau.
Celle du Rampeau !
Bon sang, je ris aujourd'hui. Mais je ne m'y attendais pas. Il a fallu un mur pour me faire mentir. La tête n'en revient pas. Depuis le départ elle navigue à vue. Le plan de course n'est pas vraiment établi, mais j'apprends de mes erreurs, et je sais combien il me faudra être sage, intuitive et précautionneuse, observatrice, pondérée, et un peu folle parfois, juste assez pour ne pas penser, mais pas trop. Ne pas tomber. Ne pas se refroidir. Ne pas s'arrêter.
Je dois courir. Ou marcher vite. Je pars de Saint-Etienne avec Laurent mon acolyte. Nous avons à peu près le même niveau, il est plus rapide, mais peut-être moins expérimenté sur "long". C'est dire, moi qui le suis si peu !
Nous prenons de la vitesse, progressivement et dans la tête dansent encore les instants si magiques de l'attente, ces heures chahuteuses qui font de cette Sainté, bien plus qu'une course, une fête, un festival, un jubilé de vie, une liturgie de bon, de beau, d'amitié et de sport. Parenthèse de l'unique dont on enregistre avec soin chaque secondes, et que l'on ressort, déballées de bruissant papier de belle estime de soi, de toi, de lui de elle, de vous, mes bons amis, ces chers grands et doux tarés.
Le premier tronçon passe comme une fleur. Une fleur givrée. Le côté scintille déjà et le ruban argent déroule sous mes foulées, que je modèle sur mesure suivant le fil du tracé, tantôt allongées, parfois courtes, pointes de pieds ou longues enjambées, bonjour à l'un, coucou Alex, tracez, tracez bien, moi je poursuis, mon bonhomme de chemin.
Je ne m'arrête pas au premier ravitaillement. Nous quittons les larges sentiers et je ne veux pas perdre ma place. Et puis je suis bien, songeant à cette crampe qui l'an dernier avait gâché toute cette portion de course, depuis Sorbier passant par Sainte Catherine, jusqu'à me mettre à genoux avant que le mental, déjà bien entamé, décide à la place du corps, de prendre le relais.
Je savoure aujourd'hui. On ne maitrise rien dans son entier, c'est vrai, mais courir est une science qui, accordée à l'intuition, s'auréole de liberté pour construire un ensemble flirtant avec le parfait.
Je ne voulais pas subir. Un à un, j'ai décortiqué les pourquoi, les comment et les si jamais.
Je pense mon chaussant, je travaille mon entrainement, mesuré, peu de temps, mais juste assez dosé. Complémentée en magnésium, je peaufine ma stratégie par cette évidence : ne pas se refroidir. Jamais.
La nuit est magnétique. Sur les hauteurs. Complimentée par le côté, bénis bénévoles, je papillonne. Les préliminaires sont passés, et la course bat la semelle. Je caresse l'envie d'accélérer un peu, à peine, mais je sais les pièges, la tourbe, les ornières et le fourbe glacé des roches affleurant que parfois le devant, ou le derrière, loin pourtant, étouffe d'un juron qu'un voisin attentif relève et rassure avant de reprendre la mesure. Je cogne parfois aussi et me rattrape au vide, bénissant le grand puissant foncier, Dieu des coureurs et des puisatiers, de me donner l'opportunité de continuer, oh béatitude, sur mes deux pieds.
Je reste prudente. Trop peut-être. Mais ma faible frontale n'est pas coopérante. Les Watts surpuissants de certains monster-trucks gênent mon halo pâle. Je me place parfois dans leurs traces mais leur phare inonde l'espace, découpant des silhouettes sombres et mouvantes, qui brouillent les reliefs et créent des surfaces ondulantes d'ombres et de lumières qui entachent plus que mon faible faisceau ma perception des mouvements. Je perds un peu de temps, je le sais, mais je me garde bien de faire l'imprudente, de peur d'en perdre beaucoup, et définitivement.
A sainte Catherine je me restaure d'une soupe chaude vite avalée. Les bénévoles sont des anges, quel courage dans cette nuit, de veiller le coureur qui passe. Deux minutes, un sourire et dix mille mercis !
J'anguille vers la sortie, enquille une grimpée, profite de l'air, des monts, des éclats brouillés de lumières opaques, et parlemente un peu avec mes complices les astres avant de me cogner à la glissante portion désastre abritée du bois d'Arfeuille, qui freine les plus avertis et embourbe les abatis des coureurs même aguerris.
Je profite de la blague, pas si terrible au fond, tangue un peu, me retiens aux branches, rigole fort et peste un peu. Le train se marre, rien de méchant. Finalement. Et puis la trace courbe. Juste au coude là. Et plutôt que de continuer, avec raison, dans le moins cabossé, la voilà qui s'envole, et prend des airs, droit dans la montée, en plein dans la forêt, et le wagon se cogne et carambole, plus personne ne rigole, ça souffle et ça peine. Mains sur les cuisses, à l'assaut du Rampeau.
En moins d'une minute tout mon moi proteste. les mollets mordent, les musclent tordent, la tête cogne, la nuque raidie et le front brûle. J'ai l'impression de reculer, tant j'avance peu, je suis errante, perds tout prestige, me trouve bête et je me fais doubler par brassées de mâles fumants et conquérants. Les mains brûlent à force d'avoir froid, j'essaie d'échapper à cette procession, faisant vagabonder l'esprit vers d'autres seuils plus doux, mais l'ascension me terrasse et je termine pantelante la poussive et terrible pente.
Le replat me rend mes jambes, mais je suis dépouillée de toute force. La faim m'obnubile, j'accélère le tempo et à Saint Genou m'offre deux grandes louchées d'un potage réhydraté, que j'aurais trouvé à l'instant, meilleurs que tout hors d'oeuvre de toutes grandes tables ou fins bouchons Lyonnais.
Le breuvage apporte l'énergie escomptée, et du sommet de ma transhumance, je me lance dans la dernière danse, basculement côté dévers, si heureuse d'être bien, malgré cette petite lacune, rallumant une à une les pensées positives et invitant in petto, mes chers absents à me suivre.
Sur le chemin je fais des blagues, retrouvant mon encombrante verve, mais la fin de nuit est moins festive, et le coureur reste concentré sur un chrono, ou sur ses pieds, délaissant l'esprit récréatif du départ pour adopter, plus solennel, une fréquence mesurée.
La nuit semble installée. Définitivement impénétrable. Un épais brouillard transpire de toutes les ombres et rien de vient trahir l'aurore en devenir. Je reste prisonnière d'un ténébreux horizon je frissonne de froid, à moins que ce ne soit de plaisir. Concentrée sur la route je vois parfois des formes, filer entre des herbes ou dégringoler d'un talus, je m'amuse à penser que j'affabule, et que, fermée dans mon monde, je joue à retenir le jour pour devancer le soleil à l'aube du grand final. 
A Soucieu je me régale encore de grandes lampées de soupe, et j'encourage Laurent, compagnon du départ, retrouvé ici, assis, un peu penaud, récupérant des forces dans de secs oripeaux et je lui conseille à la volée, de faire vite et sans tarder. Je ne reste pas. Je me connais. A cinquante kilomètres de course, sans dormir et sans vraiment manger, ma frêle carcasse ne tiendrait pas longtemps face à l'assaut du froid gagné d'une trop longue pause.
Je connais le chemin. Pour l'avoir couru en reconnaissance, je connais chaque bosse, chaque replat et la moindre des difficultés. Chaponost n'est pas loin, et je sais que d'ici, il ne restera que quelques mètres, ou pas loin, oh, dix mille, à tout casser, et que ce sera la fin, déjà, et que si tout perdure, à me sourire autant, je passerais l'arche promise dans les temps espérés.
Je masque ma fatigue en égrainant mes proches. De ceux qui marchent dans ma vie un petit peu cabossée, des absents lumineux, aux présents encombrants, de mes aidants de l'ombre à mes amis discrets, de ceux qui épousent mon histoire dans la seconde, à ceux qui l'ont quittée, de ceux du matin, d'hier et ceux de demain, et je pense que je suis bien, parmi toutes ces âmes et chanceuse d'être là, suivie peut-être de loin, comme si en ce dimanche matin, ma vie gagnait de l'importance, parce que j'avais cette chance si impertinente, de pouvoir mettre un pied devant l'autre, et de tenir debout, presque neuf heures de rang.
Je sais qu'à Chaponost, Ben, un résistant, de ceux qui ont connu les lauriers des athlètes et qui d'un accident, doivent oublier d'une traite, ceux qu'ils ont été pour devenir un autre. Il s'est levé, est venu, et m'attend, tout barbouillé de sommeil et de froid. Je sais combien c'est dur pour lui de voir l'autre courir et je mesure là toute l'abnégation dont il lui a fallu faire preuve pour arriver ici. Toute abasourdie de mes heures de ténèbres, éblouie de lumière, je me précipite dans ses bras paternels qui en une accolade rechargent mes batteries. 
La suite est machinale. Mon heure de gloire est restée là. Je termine ma course, marchant la moindre bosse heureuse quoi qu'il arrive de ce que j'ai fourni, réalisant, trait pour trait la course imaginée, sans doute, sans peur, sans heurt et si facile, pensant même qu'avec une lampe, un peu plus performante, je me donnais une poignée de minutes de moins, sur cette folle nuit.
J'ai faim en arrivant sur le vaisseau Confluence, et est-ce l'émotion, qui me fait stopper net, tout au milieu du pont, assez brutalement pour qu'un coureur me pousse, en me criant "mais non !" et m'invitant à le suivre pour le glorieux final.
J'ai faim et je dévorerais l'Italie tout entière, avec ses champs de blé, et son vin de Chianti et c'est peut-être pour ça qu'en arrivant je souris, de toute mon effronterie, de coureur du dimanche, qui réussit la prouesse, de traverser la nuit.

Seconde Saintélyon 72 km / 1800 D+ . 8h 39 de course.
Temps envisagé : Sub 9h
33 ème Féminine

Vous étiez au creux de moi, Lulu★, que j'amène dans 18 mois sur 177 km de chemins côtiers, ton lui et tes minis toi. Papa et maman, qui s'inquiétaient et que je ne savais pas et puis les enfants, qui savaient, mais qui ne s'inquiétaient pas !
Vous étiez dans mes pas, Hélène et ton étoile, David que j'ai presque failli chercher, Florent, Steph et Vaness, sacrés courageux, Dom, irrésistible, Laurent (mais où il est ?!)
Vous étiez tout à la fois, Mat et Audrey. J'ai pensé aux montagnes, et au couvercle soulevé vous savez :)
Xtophe, tu penses, dans tes pas, toujours.
Et Cha, parce que.
Eric, je ne sais pas où je vais, mais j'y vais en confiance, merci de m'y emmener :)

A tous les (très) courageux bénévoles, à l'orga qui a su rectifier les petits couacs du passé. Merci.

SaintéLyon 2015 "A ta Sainté ! 0u comment j'ai trinqué", ici. CliC

mardi 15 novembre 2016

Lyon Urban Trail : hydropolis contrôlé

C'était mouillé. Très. Et ça m'a plu.
C'est aux portes de Sainte Foy que j'ai vraiment commencé à m'amuser. 
Je suis partie en trombe. Sous la flotte. Légère et très court vêtue. Je savais que je risquais gros. 
Le bouchon pend au nez. Une seule solution, moucher la masse. 
Je suis arrivée tôt pour voir partir les amies sur le petit. Tête de pioche. En poncho sur mes pattes nues, je poisse et dégouline et je dandine d'une canne sur l'autre en regardant passer les vagues des premiers baigneurs du LUT sans réussir à croiser mes comparses.
La foule distrait et fait oublier un peu cette grosse pluie molle qui vient coller aux guiboles.
Dans les rangs ça rigole sous les grandes capes, certains sont exagérément chargés et l'eau dégringole sur leur dos bosselé du gros sac caché sous les cirés, gais coolies sous la mousson.
Les sérieux sont devant. Et je suis avec eux. On ne badine pas avec un départ de course. On tait le risque de chute, mais on sait bien que la moindre distraction, à cette vitesse, ne pardonne pas. On règle des frontales, qui, munies de capteurs, ne s'allument pas sous les projecteurs. On règle quand même. Et on occupe les minutes longues et collantes, les yeux fixés sur le départ.
Première ligne. Elle vibre, piaffe, gronde en retenue. Elle ressemble au souffle d'une bête. Lourd, opaque. Il s'échappe en volutes agitées qui allument comme des réverbères, une à une, les lumières des regards. On jauge, on sourit, on risque une blague, on fait mine de rien sous les rayons des lanternes dans lesquels jouent plus fort encore les baguettes obliques de cette grosse pluie invitée à la fête.
Pleine vitesse. La fronde lâche son flot qui se cogne aussitôt à Saint Jean. J'ai beau dégringoler à 3' 50 du kilomètre, je suis cernée de balles traçantes. Se placer. Avant tout. Le râle des montées n'a pas de concurrence. Il grognonne de concert, tandis que le plat de l'entrée annonce la résistance.
J'ai l'impression de me trainer et je me dis déjà, nuque tendue sur les pavés des quais, alors que rien n'a commencé, que je vais couler.
Partie sans rien, exposée au déluge, je ne me laisse aucun choix. Cours ou crève. Je suis préparée. Pas en tête. Rien à gagner. Tout à atteindre.
Je connais le tracé, couru en repérage quelques semaines avant. La montée vers Sainte Foy s'avale vite. La volée de marches ne freine pas l'allure. Dos droit, j'ai répété mes gammes. Il suffit de trouver un rythme. Sur la pointe des pieds. Et ça monte. Comme une crémaillère, cran après cran. Les pentes enchainent de ruelles en escaliers, la mécanique huilée commence à me faire largement sourire et sous ma loupiote j'oublie la pluie, j'oublie la nuit le froid la brume et les embruns, j'oublie les récifs et les pièges que l'on jonche à mes pieds, d'hier et de demain. La nuit n'est qu'un leurre. Le soleil y brille toujours au revers.
Le petit bois me cueille de son unique trace. La horde est derrière, je refoule un cri de joie. Tout est en ordre. Un rang discipliné de loupiotes respire l'air froid en chimères blanches. Un ondoiement souple mène la danse, passant de bosquets en chemins creux, bosses ravines branches basses et racines, hisse dans les raidillons glisse sur les obliques de boue et toujours debout avance en ahanant.
Les réverbères crus nous cueillent sur le gros rond-point de la sortie du bois. Le plus dur est passé et le peloton espacé s'étiole dans le cercle jaune qui chapeaute le ravitaillement.
Je chaparde un fruit sur l'étal en marchant. Vite précis, je repars comme une ombre. 
Foulées fluides, je cours sur les crêtes et dans un sourire décrète que la vie est belle, même au creux des intempéries.
La ville est moins jolie, à moins que je n'y sois plus très attentive. Je me laisse guider par le fil, les rues se vident, et je salue les courageux pisteurs engoncés dans le phosphorescent d'un gilet jaune et qui balisent la trace sur l'asphalte livide.
Je relève la tête à l'approche de Loyasse. J'y ai de la famille. Elle dort paisiblement, dans les bras de grand-père, et je lui lance en trottinant des je vous aime enrubannés des souvenirs de mon enfance Lyonnaise.
La piste fait des boucles. Je pirouette au fort de Vaise. Redescendre pour mieux remonter. Les escaliers ne m'arrêtent pas, je monte, paumes sur les cuisses, nez dans le devant et ma lampe fait luire le feuillage collant qui poisse les marches et piège la course. La fatigue frappe au hasard. Quelques uns s'arrêtent sans préavis, et on se retrouve le nez dans les arrières, à pouffer comme des pensionnaires fugueurs et ravis et dans l'oeil clignote encore l'insolente lueur des joueurs du soir, enthousiastes comme les gamins de la semaine des quatre jeudis.
Je m'engage avec gourmandise dans la pente de la Sarra. Le terrain labouré n'est plus que glaise mais je cascade à mon aise en ricochets agiles sur la déclivité grasse. Crochet à droite, il faut se remonter d'autant par la volée de marches, et je reprends mon rythme, échelon par échelon sans parvenir cette fois à maintenir le dos droit, et je me courbe sur l'effort afin de préserver un peu les quilles pour la dernière réjouissance.
La morsure de la crampe m'arrête en plein élan ! Je surplombe la montée Nicolas de Lange et je prie la Providence et tous ses séraphins de me permettre une fin glorieuse sur ce cher trail urbain. Je claudique un peu puis m'élance encore, l'oeil fixé sur la descente, dévorant deux par deux les marches en oubliant les spasmes. Entrechat en contrebas, devant un attroupement accueillant, je salue d'un éclat de rire et file livrer bataille à Saint Barthélémy. L'hécatombe n'est pas flagrant. Ça monte gaillardement, galvanisé par les vivats de la courageuse foule rassemblée sous les pépins. La baguenaude dans l'ECAM clôture le voyage, je discerne au loin les clameurs de l'épilogue, le théâtre est tout proche, juste derrière la montée, et malgré la pente et les pavés je redouble d'efforts pour finir en beauté.
Je ne suis que plaisir, engouffrée dans l'arène. Qu'elle est noble cette scène, vieille de vingt siècles. 
Je rentre dans la lumière, annoncée comme une reine, et décorée d'un sourire, 
je compose une pantomime.

Photo Gilles REBOISSON pour Ultrarun
- sublime galerie ICI -clic-
LUT by Night 2016 
2h 39' 50"
188e / environ 1800
9 ème féminine - meilleur temps féminin 2h 26' 17" - Un plateau assez serré ! -

lundi 10 octobre 2016

Marathon 2 Lyon. L'indice cible


















Lecteur je préviens. 
ces lignes sont un réquisitoire anti faux-fuyant doucereux et elles dégoulinent en outre, d'auto-censure moraliste.  
Bon. J'abuse un peu.
J'ai juste une tête de mule démesurée. Et un peu de jambes, ça sauve l'honneur.
L'âne vise l'orgueil. C'est entendu.
Alors voilà. J'étais vachement en forme.
Mais vraiment quoi. Je ne faisais pas semblant. Comme il y a six mois. Sur la course Haddock.
Fut un temps j'avais besoin de dire que j'allais bien et aujourd'hui je vais réellement bien.
Bon alors j'ai fait mes gammes. Assez intuitivement d'ailleurs.
L'été n'était pas fait pour bosser. En tout cas dans le sens sportif du terme, bien que j'y aie usé quelques paquets de kilocalories à m'asticoter en déménagements en tout genres.
Mais enfin, les sorties pedibus jambus Pegasus étaient principalement programmées pour m'aérer le caractère et j'étais d'humeur à dégouliner de bonheur pour une sortie au feeling et à bugner d'un crochet du gauche quiconque aurait osé me demander de forcer.
J'ai continué sur ma lancée en septembre, en y incluant, faut pas charrier, quelques belles sorties bi-hebdomadaires à accélération progressive : Kilomètre un en 4'50 et kilomètre 12 en 3'45, pour brosser grosso-modo le tableau -Je vais pas te filer mon plan, tu risquerais de ressusciter mon chrono avorté !-
Bon. Alors. Pour résumer. Soyons con sise. J'ai travaillé sur une base de 4'38 au kilomètre. Soit du  3h 15 au marathon. Je me suis formatée pour cette allure.
J'ai sorti 7 minutes de plus, soit 3 heures 22 minutes et 25 secondes. 1 km 500 de retard sur le chrono escompté. C'est beaucoup.
Avant d'ouvrir le bureau des Paul et Mickey et compagnie je tiens à préciser que je ne considère pas mon chrono comme du tout venant. 
Je suis une pissouse. Comme chacun sait, la pissouse quadra se classe en 3h 30. Je reste de ce fait classée pour la troisième fois consécutive. Je peux courir New-York et Boston. J'ai pas le premier billet pour. Mais je peux. Ça me fait une belle jambe, c'est déjà ça de pris pour les photos IGcompatibles.
Au regard de cette fine observation, j'accepte en vrac les vivats et bravos comme les expressions de peut mieux faire mâtinées de passable. Peu me chaut. C'est un chrono point.
L'observateur sur ce point, a un avis plutôt très consensuel. Le coureur est d'ailleurs, assez consensuel en général. Peu importe ce que tu cours et en combien tu le cours, ce que tu as préparé ou procrastiné, travaillé ou bâclé, pour le conventionnel, c'est toujours un exploit. Ça fait partie du pack coureur. A ce titre, renoncer à la palme de démiurge n'est pas vu d'un très bon oeil. 
C'est joli. C'est vrai ! Je me prends aussi au jeu, et puis ça fait du bien d'être déifié. On a besoin de ça. Terriblement besoin.
Mais le meilleurs compliment qui soit pour moi, est loin d'être celui là. Le plus beau cadeau, celui qui me prend aux tripes et qui fait déborder le vase. Celui qui me fait sourire morveux, yeux baveux et lèvres vitreuses. Le master classe de la complimente, c'est l'aveu, yeux dans les yeux, qui dit ben mon vieux, ça c'est du boulot. Du beau, du dur, du ciblé, du juste, du travaillé, du pensé, de l'acharné, du mérité.
Tu prépares. Tu bosses. Tu gagnes. Et peu importe ce que tu prépares. Il n'est pas question de niveau de cible, il est juste question de cibler.
Il se trouve que pour courir Lyon, comme pour la plupart de mes courses sur route, j'ai bossé un temps cible. Il se trouve que j'étais prête. Il se trouve que j'ai foiré.
J'ai cru un moment que je pouvais être un héros. Juste pour une journée.
J'avais peut-être besoin de ça. 
Penser que je pouvais être encore meilleure que la cible. C'était le début de l'erreur.
Je suis partie comme une flèche. Un sermon sous le crâne à chacune de mes foulées. Je le savais.
Plonger tête baissée dans l'illusion. Du sophisme. Je me persuade que je suis dans le bon.
Logique en même temps.
Et puis je me persuade longtemps, et tant et si bien que je finis un semi en 1 heure et 33 minutes à ma montre, une base de...3 heures 06 au marathon. Bingo.
Des amis sur le tracé m'encouragent. Je crois qu'ils pensent aussi, à cet instant que je peux tenir. J'ai une foulée qui peut laisser penser que je suis facile. Même quand je ne le suis pas.
Je donne souvent l'illusion que je suis facile. Même quand je ne le suis pas.
Il m'arrive de rares fois d'exposer mes défaillances. Nicolas, à Cheverny le sait. 
Peu importe. Je ne suis pas mal en point. Loin de là. Mais je décline, doucement. Je perds de la vitesse, m'agace pour l'augmenter, chope un point de côté, maîtrise une crampe. Je ne cesse de tenter de maintenir l'aiguille d'une allure qui tend à échapper à mon contrôle et je ne m'accroche plus au kilomètre 38 qu'à l'idée de sauvegarder un embryon de record personnel.
Et j'y arrive.
Une minute et quelques secondes de gagnée sur la distance. Ce n'est rien. Quelques grammes de poussière. Pas d'étoile. Mon marathon de Cheverny était bien plus beau tu sais. Couru corps et âme à nu et à tripes. 
Je suis rage. Je suis penaude. Je suis colère et bêtise. Pas besoin d'analyse. Elle est toute faite. Je savais en courant ce que je faisais. Je suis partie trop vite. Je n'ai pas décomposé ma course. 
Payée cash.
Quand tu marches le nez dans les étoiles, tu tombes dans la fosse à purin. Parait. C'est en Chine qu'y disent. Ma maman, elle, disait que j'avais "my brain in my toes". Vérifié.
Ceci étant dit. Et ceci étant fait. 
Much ado about nothing ou quasi.
Je tenais à dire ma philosophie toute personnelle de la performance. Elle tient à un travail, bien plus qu'à une à posture. J'admire avant tout les personnes qui osent avouer leurs objectifs, bien plus que celles qui avancent dans le qu'en verra t'on. Annoncer la couleur quand la course est faite, c'est donner la météo de la veille.
La performance dans le sport se joue sur la connaissance de soi. De ce que l'on peut envisager, avec sérieux, en temps, en classement, en kilométrage, peu importe. 
L'accomplissement n'est pas le degré, il est l'objectif.
Perdue ou gagnée, la course est jouée. Elle n'est que plaisir, et cela est évidement acquis, je passe sur cette idée stupide et tenace qui chercherait à démontrer que le degré de plaisir en course serait inversement proportionnel à la recherche de performance. 
Qu'elle soit dépassement, médiocrité, erreur ou abandon la valeur de la course ainsi mesurée, n'en a au final, que plus de saveur et d'importance.
Je ne suis pas un héros. J'aurais pu l'être si j'avais tenu mon objectif.
Mais je ne suis finalement,
qu'une mule altière.
Et c'est un peu bête. Certes. Mais c'est parce que mes pieds sont têtus.
Alors je recommencerai.

































Merci à Eric, entraîneur patient.
Merci à Mathias et à Audrey, supporters confiants.
A Hanke et à Nicolas.

dimanche 25 septembre 2016

Gamberge

Cette sortie fut circonstancielle.
Il faisait beau encore. Un petit matin clair, de cette constante lumière laiteuse de traînée de ciel d'été.
lambinaient les baskets, en attendant les quais. Il m'a interpelée :
"Vous devriez le lire. Mon roman"
Je dévisage l'homme. Plutôt quinqua. Plutôt grand. Plutôt bien.
"Vrai, vous devriez. Je vous croise parfois. Il parle de femmes. De nouveau départ. De muse, 
d'égérie et de Lyon aussi"
Je souris avec les yeux. Ils doivent dire d'accord. D'abord je suis incapable de m'offusquer ou de faire semblant, tu sais, de ce genre d'air d'offense faussement retenu, de cette apparence maniérée urbaine et coincée qui montre que tu es une femme du monde, emprunte de ce code social immonde qui cache ce qui doit se montrer et montre ce qui est surfait.
Je souris avec les yeux, avec la bouche aussi. D'accord je dis.
Il faisait doux au fait. Je crois, un peu. Il faisait un temps à filer léger.
S'égrainent les pavés, les ponts, les kilomètres des quais.
Passent les péniches. Les verdoyantes, les modernes, les délabrées, les louches et les cachées.
Personne au petit matin. Ma pomme, et ce fleuve satin, enrubanné de sequins dont les éclats accrochent l'oeil qui doit plisser sous les vives éclipses et qui font rire encore plus franc.
Le grès blanc marié aux pavés jaunes déroule sous mes foulées. J'allonge et je délie mentalement les noueux rails noirs onduleux qui filent en volutes élégantes le long du mur d'accotement de ce si joli quai de Saône. 
Pirouettait ma jupette au gré des obliques. Je brûlais le pavé. Il m'a interpelée : 
"Je voudrais sortir !"
Ses longues mains de quinqua cagneux agriffées à la berge, il me tend un visage hâve et ruisselant. 
La bouclette dégouline en ribambelle bourbeuse et lui donne un air de chat échaudé.
Il n'y a pas long, entre le niveau de l'eau et la berge, mais l'homme semble épuisé, comme las d'avoir barboté trop longtemps et il me dévisage d'un air de grand gosse qui aurait commis une grosse sottise et que sa mère vient gourmander. 
Je m'agenouille et aussitôt s'agrippe de toute sa carcasse de géant entourbé. Le tableau doit être amusant, tiens, vu du haut, comme si une girafe se pendait à un fil de pêche : Je ploie sous le fardeau, les genoux raclent sur le rebord et je me vois déjà tomber à l'eau, avec ma jupette et mes baskets !
Attendez je lui dis. Et je n'ai pas continué ma phrase, qu'il me supplie de ne pas le laisser.
Il me fait peine, ce grand dadais, et je dois le rassurer, un peu, et promettre surtout, de revenir en moins de deux.
Un coureur passe et je le hèle. Retire ses écouteurs et de bonne grâce écoute ma requête.
Je ne sais pas si il comprend vraiment, la situation est cocasse et il faut dire que je suis déjà bien crasse, toute barbouillée des traces des mains agricheuses de mon ami la perche ! mais nous sommes deux maintenant à le sortir de là, pieds calés au bollard pour ne pas basculer. Il est lourd l'animal, d'autant plus pesant qu'il gigote et se tord avec l'énergie d'un désespéré et parfois se lasse et s'arrime avec l'inertie d'un noyé.
Une jeune femme passe, et nous sommes trois à le hisser et le voilà bientôt gisant sur le rocher égouttant ses grands abattis trempés. Mes deux compères filent dans la foulée, et je me penche une dernière fois sur ce grand bêta déconcerté.
"Que je ne vous croise plus dans cet état !" lui dis-je d'un ton d'institutrice. 
"Il faudra que je raconte ! ça m'amuse !"
J'ai embrassé Lyon du regard, laissant l'homme à son nouveau départ. 
Il faisait doux au fait. Je crois, un peu. Il faisait un temps à filer léger et à aimer la vie.
Et j'ai ri.

dimanche 4 septembre 2016

La nouille et le boeuf

Une nouille vit un boeuf.
D'abord, comme à son habitude, elle sort de sa chaumière, s'étire et s'assouplit.
Sur l'appui de la fenêtre, l'offrande : La courge est grosse ce matin.
C'est un régulier. Le paysan voisin. Tout à l'heure il lui donnera une salade montée.
C'est un pote âgé. asocial. Et pas si vil. Elle fera une soupe tiens.
Elle part par le chemin tordu. A petits pas de pas pressée.
Les noisetiers biscornus en haies plessées délimitent les pâturages. Entre deux arbres le bestiau mastoc mastique, dolent.
Le taureau du voisin paysan. Sa prunelle, valseuses en galerne.
L'animal lui semble de belle taille,
elle qui n'était pas franchement épaisse.
Il est là, qui paît et qui montre ses fesses.
Curieuse, se gausse et s'étonne
comparant l'animal à un athlétique mâle
courtaud molosse à l'ignorance abismale.
Se pointe le maître "Ah mais salut championne !"
se gaussant, jabot turgescent, deux pouces à la ceinture, s'enfle et se flatte
"Ne t'en approche point, chétive pécore, c'est qu'il y a, dans ces baloches, un entier cheptel, tu t'approches, il t'embroche !"
"C'est que je m'étonne" réplique la polissonne "une si vigoureuse carcasse sur de si frêles cannes !
Le paysan se renfrogne, toise la bêcheuse et cède tout à trac en une bouillie boudeuse
"il est vrai, à trop se reproduire, sa fin est bien fâcheuse
C'est qu'enfin à trop monter, les postérieurs le lâchent"
Et la poussant du coude rajoute d'un air potache
"c'est t'y pas sot tout d'même de clamser pour des vaches !"
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus justes
chacun veut vivre comme les grands seigneurs
petit ou grand manant a ses ambassadeurs
exécutant sans égard des créatures robustes.

Cette bête histoire de couilles mérite la bafouille
Elle n'est pas bien sagace
mais enfin je m'agace, et je me dis comme ça, qu'on voudrait bien parfois
casser trois pattes
A un connard.

mercredi 17 août 2016

Une première Alpine avec du monde aux balcons

Ça faisait vingt ans je crois. Vingt longues années. Ou un peu moins. Mais ça faisait trop longtemps.
Je n'y avais plus posé un pied et je regardais de loin les photos des uns, les tracés gps des autres. Et j'avais envie. Très.
Je mélange aujourd'hui les lieux. Mon père nous emmenait marcher. Il me semble que c'était parfois très haut. Ma rétine est définitivement frappée par la lumière dorée badigeonnée des cimes et des miroirs argent de ces lacs d'altitude qui contiennent dans leur éclat toutes les promesses d'une halte salutaire.
J'entends siffler les marmottes. A moins que ce ne soit mon père. Je râle derrière. La chaussure est toujours trop lâche ou trop serrée ou trop petite à moins que ce ne soit le pied. Trop grand. J'ai souvent mal à mon caractère en montant. J'ai 8 ans peut-être. Les chemins sont pointus et les cols toujours trop obtus. Le refuge est là-haut dit mon père. Mais attendez moi ! je lui réponds. Avance et tu verras. Et je vois. Et je me souviens des panoramas. Des volcans de l'Auvergne en passant par la Rhune, d'ossau à Bigorre, du Verdon à la vallée des merveilles, Ventoux, Ecrins, Savoie. Chapelet de cratères enfilés sur la ligne de crêtes, départs dans la nuit. Territoire des Pottok. Percée dans les brumes, la terre du petit matin respire et puis, quand l'opacité se déchire, c'est une infinie palette de verts embrasée d'orange et du feu d'un astre au réveil dont les rayons horizontaux font taire en une éclisse toutes les arrogances des hommes et des bêtes : La force Basque nait au petit jour au sommet de la Rhune.
Les Pyrénées ont du caractère, mais je fus marquée par les Alpes. Mes premiers souvenirs sont à Peisey. Haute Savoie. Mon oncle y est médecin. Mes cousines savent skier avant de marcher, et nous arrivions de la ville, gauches mais émerveillés, par leur vie simple et rude, sans trop savoir si nous les envions. La neige monte jusqu'à la fenêtre de l'étage. Le chien revient de sa maraude, les sommets aveuglent. Je n'ai souvenir que de bleu électrique, de blanc argent et des bégudes percées d'eau claire au bord des chalets sombres.
Je me souviens de l'ombre rouge des roches du Verdon. Du chemin étroit et des échelles que nous empruntions sans filet. De l'eau transparente des mètres en contrebas et des galets ronds qui nous meurtrissaient les fesses à l'heure du casse-croûte, que nous passions alors en baignades frigorifiées et concours de ricochets. La vallée des merveilles est une récréation. La masse sombre de la forêt de mélèzes s'ouvre sur un trésor minéral. Nous jouions à Cromagnon sur cette étendue plate et mystérieuse et nous en revenions toujours les poches pleines de minuscules ammonites et d'opercules fossiles.
Le Ventoux signe mon entrée chez les vrais randonneurs. Je gravis, grave et ravie, seule enfant de l'aventure, le géant de Provence, avec une fierté qui m'émeut encore aujourd'hui. Mon père m'encourage sous l'accablante chaleur et je m'enorgueillis de marcher dans ses pas, consciente du privilège et un peu effrayée par cette immensité minérale d'où émergent, rabougris, des moignons d'arbres desséchés. Du sommet nous longeons la crête, et je crois bien ne plus avoir d'autre conscience à l'arrivée, que ce coin de table ombragé sur lequel se succèdent les meilleurs diabolo-menthe de ma vie et du monde tout entier.
De pâturages en pierrailles, de crêtes en crozets, je fais remonter un chapelet de souvenirs sur le trajet de mes vacances. Stéphane et Gemma m'accueillent. Je vais courir petit, mais courir les Alpes, et je souris devant le couchant des montagnes.
Chateauvieux. Du beau monde aux balcons, si j'en crois mon hôte. L'une des dernières courses du challenge local attire les ambitieux. Les filles sont jeunes et affûtées, coachées par des athlètes, et du premier coup d'oeil je perçois le niveau, aussi élevé que l'altitude au départ, qui ne m'est pas coutumière.
Je suis heureuse d'être des leurs. J'ai quitté ma plaine avec un furieux besoin d'oxygène, et je me gargarise d'air et de sublimes paysages.
Je retrouve Hélène et Julie, qui définitivement et en une accolade, conquièrent la précieuse communauté des purs amis, et puis Fred, alias Gurren, animal végane bipède et roulant déjanté visiblement non carencé dont les vidéo fort bien montées me divertissent autant qu'elles m'interpellent.
Je ne sais pas à quoi m'attendre. Mais j'attends avec plaisir. Le froid matin pique un peu, mais il va faire chaud. Trop. Il est drôle ce pays, où on passe d'hiver à été Austral en une ligne d'horizon débordée du soleil !  
Le départ est corné et on monte sur bitume. Il m'avait semblé que ce n'était pas prévu. Mais j'accroche, pas mal placée devant, jusqu'à ce que la tête se décroche, et qu'en une clameur déboule sur l'arrière déboussolé. 2 km 600 de côte. Faux départ, vraie suée, mais le peloton se marre et redescend de bonne grâce. Le ton est donné : décontraction !
Les marnes. Masses anthracites. Elles craquellent sous la chaleur et ruissellent en schiste noir, formant des monts, des ravines et des crêtes instables et arides. Le train serré du départ soulève la poussière grise. Je mets un peu de temps à m'accoutumer, calant mon souffle sur un cardio un peu plus élevé que d'habitude : L'altitude a fait légèrement bouger l'horloge cardiaque.
De là haut, la vue est grandiose ! Le tracé offre un panoramique de choix. Céüze, pic de bure et vieux Chaillol exposent leurs reliefs sur une plaine verdoyante semée de taches bleues. Je me raisonne pour ne pas me retourner sur chaque trouée et me cramponne au terrain cabossé.
Dans une montée, Fred me rattrape et fait l'article. Les nombreuses pentes nous mouchent et les sous-bois rafraîchissent. La chaleur terrasse les organismes et nous faisons provision d'ombre en silence en prévision du retour dans les marnes. Je me retrouve seule au 15 ème. Revigorée par un ravitaillement prolongé. Je prends de l'assurance. Les descentes esquintent et vrillent les appuis. Je m'amuse des improbables montées à flan de collines limoneuses du haut desquelles bénévoles et photographes hilares accueillent le coureur plus égayé au fond qu'abattu, à mesure qu'approche l'écurie, et l'ultime morceau de route, bien que légèrement montant, me permet de finir presque fraiche dans un semblant d'élan gagnant.
Je prends mon temps, profite de l'ambiance amicale et de ce joyeux brouhaha à l'accent déjà chantant de cette presque Provence. File me rafraichir à la douche installée sur la place, reviens guillerette accueillir les amis et taper la causette et puis j'entends mon nom, appelé du podium, surprise vraiment de me retrouver ici, 6 ème des féminines et félicitée par catégorie.
J'ai couru les Alpes en cette mi aout. Oh, pas bien haut c'est vrai. Et puis pas bien grand. Mais je soupire les yeux plantés dans les aiguilles, et il me semble, sur le chemin du retour, que la montagne me sourit.

M.E.R.C.I Stéphane et Gemma !